Entrer dans la Case du Sage

Nous étions donc retournés au navire, où nous avions cherché, encore et encore, retourné tous les carnets, lu le plus de textes possible, redécouvert de vieilles histoires, qui avaient été délaissées, couvertes de poussière. Soudain, MelleFredoune eut une idée. Elle avait toujours considéré un Soleil comme un espoir, et un espoir comme un début ; or, pour elle comme pour tous, le début de l'aventure, c'était l'embarquement. Elle retrouva donc un petit carnet, à la couverture marron et épaisse, et aux feuilles couvertes d'encre : celui de l'épreuve. En effet, pour pouvoir monter à bord et se faire accueillir par notre aimable Captain, chacun d'entre nous avait dû raconter une histoire, une petit anecdote, ou une aventure inventée. Elle les lut, tandis que les autres fouillaient dans les moindres textes ; et enfin trouva : là, sur une page, était dessiné un soleil! Elle était heureuse et assez fière de l'avoir trouvé, et demanda au Capitaine de l'accompagner retrouver le sage, de peur de se perdre. Et enfin elles arrivèrent.
"- Eh bien, ce petit carnet signifie-t-il la trouvaille d'un soleil?" demanda le sage.
"- Oui", répondit MelleFredoune, non sans une once de fierté.
Le sage lui demanda d'ouvrir le carnet, et là, un rayon s'en échappa, puis deux, puis trois...Puis un Soleil s'éleva. C'était éblouissant, mais si beau! Le sage tendit la main, et la lumière fut aspirée par son index.
"- Je vais le garder précieusement... Plus que quatre, mes amis. Rejoignez vos camarades, et cherchez ; vous seuls pouvez nous aider, petits voyageurs de Levez l'Encre. J'ai foi en vous."

Revenue au navire avec les autres, Elisheba avait décidé de fouiller la bibliothèque. Il n'y a pas si longtemps, elle avait déjà passé un après-midi là-bas pour s'y détendre et lire quelques textes; il lui semblait qu'elle connaissait l'endroit par coeur.
Elle observa chaque étagère, ouvrit chaque livre et le feuilleta doucement mais elle ne trouva rien. Cependant, son regard fut attiré par une petite lueur qui émanait du dernier livre d'une étagère. Elle le prit, observa chaque page et trouva un magnifique Soleil. Ses yeux s'écarquillèrent de surprise; elle avait pensé ne jamais en trouver mais à priori elle avait tord.
"-Ça alors!", murmura-t-elle en prenant délicatement le Soleil dans ses mains.
Elle regarda autour d'elle et sortit discrètement de la bibliothèque. Elle avait tenté de mémoriser le chemin qui menait à la Case du Sage et n'était pas sûre de le retrouver.
"-Bah!", se disait-elle en marchant dans le village. Mes souvenirs m'aideront!"
Fort heureusement, elle ne tarda pas à repérer la Case à travers les autres habitations. Alors elle se remit à marcher, lentement. Le Soleil brillait entre ses mains et dégageait une douce chaleur amplifiée par l'atmosphère chaude du dehors; Elisheba en frissonnait mais c'était très agréable. Cette petite lumière lui rappelait l'été, cette saison qu'elle aimait tant, et ça la faisait sourire.
Devant la Case du Sage, elle croisa MelleFredoune et le Capitaine qui l'avait accompagnée. Elle devina alors qu'un Soleil avait déjà été trouvé et les félicita du regard.
Lorsqu'il la vit venir, le Sage l'accueillit tout de suite.
"-Alors vous aussi, vous avez trouvé un soleil?" demanda-t-il.
"-Oui, dit Elisheba en souriant chaleureusement. Le voici!"
Elle ouvrit ses mains qu'elle avait tenues jointes pendant tout le chemin et découvrit le Soleil qui brillait de plus en plus fort. Le Sage ouvrit la main, Elisheba lui tendit les siennes pour lui donner le précieux objet. La lumière était de plus en plus forte, éblouissante et presque insoutenable. Mais tout comme le Sage, Elisheba ne baissa pas son regard qui resta fixé sur le Soleil; elle voulait voir ce qu'il allait se passer.
Tout d'un coup, la lumière disparut doucement. Elle était comme aspirée par le Sage.
Lorsqu'il n'y eut plus rien, celui-ci sourit à Elisheba et la remercia. Elle lui rendit son sourire puis, toute grisée par ce qu'elle venait de voir et de vivre, elle sortit avec l'impression que cette trouvaille avait illuminé sa journée.

Comme elle ne savait où chercher, Zois'O se laissa entrainer par les courants d’airs, s’envolant à travers les pièces en décrivant des courbes harmonieuses et se posant parfois au sommet d’une armoire d’ébène ou sur le cadre d’un miroir harassé pour guetter le moindre éclat, les plus petits fragments de lumière.
A force d’errance ou soufflé par le hasard, l’oiseau aboutit dans la dernière salle, au fond du dernier couloir du dernier étage. Jouxtant la cale d’un coté et les cabines des voyageurs de l’autre, le Casino baignait dans la pénombre silencieuse. Au centre de la pièce, une table de forme elliptique recouverte des les signatures des aventuriers l’ayant effleurée servait de table de jeux. Tout autour étaient disposées des chaises-bar rouges comme les lèvres cachées derrière les cartes de poker. Les murs couverts de graffitis et de posters se modifiaient à la venue de chaque nouvel arrivant qui y apposait sa touche personnelle. Dans le fond, deux canapés en cuirs défoncés jonchés de manuscrits écris à plusieurs s’adossaient au bar, endormi parmi ses verres bien rangés. Au-dessus, une faible lueur blanche émanait de l’étagère plantée dans le mur. Zois'O s’en approcha, attirée comme un papillon par une lampe. Sur l’étagère était ouvert un livre ; Sur le livre était dressée une bouteille ; Et dans la bouteille, s’agitant avec fébrilité ... un soleil réduit. Un Soleil. L’oiseau, fière comme un pélican, essaya de l’atteindre en forçant le goulot. L’Astre vint lui coller au bec et, s’introduisant dans ses plumes tel une onde de chaleur, l’engloba toute entière. Surprise, elle couina, vacilla, et, rattrapée par un équilibre primitif, reprit son vol. Les plumes anormalement luisantes, elle s’en alla porter le Soleil à l’Homme à la Peau de Nuit.

Lorsque Zois’O entra dans la case, le sage fredonnait un air traditionnel en faisant bouillir des feuilles de Lam. Elle se posa sur le sol en terre battue et le rejoignit en sautillant.
« Modamtam balam balam dam sila batema …
- Cui ? L’interrogea le volatile.
Deux fossettes ridées creusèrent le sourire du vieux Sage.
- Petit oiseau, tu m’apporte un soleil. Veux-tu chanter avec moi ? »

Julie, parfois, sortait les yeux de son livre et contemplait doucement ses amies, qui rapportaient petit à petit des morceaux de lumière. Elle toussota d'émerveillement quand s'ouvrit le petit carnet de MelleFredoune, sourit à la vue des petites mains d'Elisheba s'ouvrant précieusement sur le brillant trésor, et admira les délicieux vire-vols de Zois'O-minuscule. Puis elle se rappelait à l'ordre et retournait à ses crayons, penchée-perchée au-dessus de son énorme ouvrage.

Lyadrielle avait observé les va et viens de ses amis sans grand intérêt au départ. Elle ne comprenait pas très bien la signification de ce remue ménage. Quand elle vit de petits soleils, à la lumière éblouissante, elle se dit alors qu'elle s'était trompée. Lorsque le sage avait parlé de soleil, la jeune fille avait pensé que c'était une image, une métaphore et pas de plus ou moins gros objets qui s'étaient planqués un peu partout et dont l'utilisation pouvait s'avérer très utile au grand sage.

Complètement assommée par cette nouvelle, Lyadrielle décida alors de se mettre en quête du dernier soleil, ingrédient apparemment indispensable pour les œuvres d'un artiste aux mœurs assez bizarres, il fallait le dire. "A quoi pouvait bien lui servir tous ces soleil ?". Décidément, elle ne comprenait pas et se demandait si une quelconque magie créait ces petits objets brillants. Après tout, si l'artiste avait besoin de soleils pour son travail, cela voulait bien dire qu'il en avait déjà utilisé beaucoup et que, par conséquent, une entité fabriquait ces choses, aussi bizarre que cela puisse paraître.

Dubitative, la jeune fille se demanda si elle pouvait s'éloigner de l'embarcadère pour rechercher la source d'où provenaient ces soleils. Le sage avait bien dit du pont jusqu'à l'embarcadère. Et s'il s'était trompé ? "Très peu probable", se dit-elle, surtout à la vue des quelques soleils déjà trouvés par ses amis. Devait-elle continuer ses recherches sur le navire ou s'en écarter, partant de l'hypothèse que les soleils venaient de plus loin et que quelque chose ou quelqu'un les avait amené ici, près d'eux. De plus en plus angoissée par ses réflexions, elle se demanda si tout ceci n'était pas un coup monté par le sage pour qu'ils se croient utiles alors qu'il se jouait d'eux.

"Madame, madame, venez m'aider, s'il vous plaît !"

Lyadrielle ne s'aperçut pas tout de suite qu'on lui adressait la parole, peu habituée aux "Madame" qu'on lui servait pourtant à chaque fois. Une petite fille s'était approchée d'elle, apparemment apparentée au sage, bien qu'elle n'aurait su dire comment elle l'avait deviné. La petite lui indiquait du doigt une position tout en tirant sur le bas de sa robe. La jeune fille se laissa accompagner par l'enfant et arriva au pied d'un arbre dont les formes et les couleurs ne lui rappelaient rien de connu. N'ayant même pas le temps de s'interroger sur cette étrangeté supplémentaire, ses yeux se fixèrent sur une forme lumineuse qui était prise dans les branches de l'arbre.

Par chance, elle fut assez adroite pour le récupérer sans s’égratigner, mais s'aperçut, à son grand désespoir que le soleil n’en était pas un. C’était une moitié de soleil. « Argh, me voilà bien chanceuse, moi qui pensais avoir réussi enfin quelque chose aujourd’hui ».

La petite fille continuait à lui triturer sa robe mais Lyadrielle était trop focalisée sur le bout brillant qu’elle tenait dans ses mains.

"AHHHHHHH"

La petite fille venait de lui crier dans les oreilles là ? Bon sang !! La jeune fille n'eut, une fois de plus pas le temps de s'interroger que l'enfant lui montra un autre bout brillant qu'elle tenait dans sa petite main.

"Je l'ai coupé en deux alors que je voulais le récupérer"

Lyadrielle remercia l'enfant et lui expliqua que ce n'était rien et qu'elle pouvait repartir s'amuser sans s'en vouloir aucunement.

Ainsi, les deux bouts du soleil dans ses mains, elle revint sur ses pas pour retrouver le grand sage. Elle espérait que cette mésaventure n'allait pas lui causer du tord. "Peut-être que ce soleil s'est envolé sous les bourrasque de vent pour atterrir dans cet arbre ?". Cela paraissait plausible après tout, non ?

Le sage la vit arriver et Lyadrielle put constater qu'il n'était pas ravi, ravi.

Lyadrielle lui offrit une moue affreusement désolée et commençait à se sentir mal à l'aise, très mal à l'aise. "Faites qu'il soit assez doué pour réparer ce soleil".

Et c'est ce qu'il fit, assez vite d'ailleurs. Whaoua !

"Cela arrive souvent, ne vous en faites pas, nous avons l'habitude. Cela ne nous enchante jamais, cependant, de voir de si belles choses ainsi détruites".

Ouf, pensa la jeune fille. Il ne semblait pas lui en vouloir tant que ça après tout. Le soleil paraissait comme neuf et il brillait même plus intensément que les deux morceaux qu'elle avait tenus en main il y a peu. Il y avait de la magie dans l'air.

Tildu regarda, les larmes aux yeux le soleil en morceaux. Une chose aussi belle, comment avait elle pu se casser !?
Assise près du sage, elle en avait vu passer des Soleils. Les passagers du bateau avait fait du bon travail en les ramenant tous, mais celui là avait un couleur blanchâtre et moins éclatante que les précédents soleils.
Mais quand le sage reprit le soleil dans ses mains, et que celui ci reprit de son éclat, Tildu sourit. Cette renaissance avait donné au Soleil plus d'éclat et de beauté à ce soleil qu'aux autres, et il illuminait maintenant la Case plus que jamais.

-Mais, reprit le Sage, tu n'as pas trouvé ce Soleil sur le bateau, n'est ce pas ? Ne serait ce pas ma petite fille qui te l'aurait donné ?

Après l'acquiescement de Lyadrielle, le Aliou éclata de rire :

-Quelle chipie celle là ! Je lui avais donné il y a quelques pleines lunes un soleil cassé, comme celui ci, pour qu'elle apprenne à les réparer. Quand je ne serais plus là, c'est elle qui prendra ma place. Mais je vois que ne trouvant pas comment faire, elle a décidé de me le faire envoyer indirectement pour que je le fasse moi même. Elle n'est pas bête cette petite...

Il soupira.

-Je suis donc vraiment navré, mais je ne peux pas donner ce soleil à mon ami Ousmane. Il vous reste néanmoins au fond du navire un Soleil qui attend de sortir. Je le sens, alors reprenez vos recherches ! Je sens que vous n'êtes pas loin !
Quant à toi Tildu, pourrais tu s'il te plait aller chercher ma petite fille, il faut que je lui dise deux mots à cette moutarde !

Je sortis donc de la Case, à la recherche de l'enfant, alors que les matelots se remettaient à la recherche du dernier soleil.

Hélas, le dernier soleil se cachait. Mais où? Il semblait pourtant à Fred que le bateau avait était fouillé de fond en comble... En effet, tous les textes, toutes les nouvelles, avaient était lues, relus, admirées, dégustées et dévorées, dans l'espoir de trouver un rayon de lumière, synonyme de la présence d'un soleil. Fred observait ses camarades se donnait à la tâche, et cela lui redonna du courage : voir tous ces écrivains s'unirent était une image magnifique. Elle cogita. Une pièce avait bien du être oubliée... Mais laquelle? "Mais oui, pensa la jeune fille, personne n'a pensé à aller voir dans la pièce où ce jeu se déroule, celui où les bouts de mots s’enchaînent et se mélangent dans le simple but de faire exploser la bombe à la fin!". Et elle partit prévenir ses amis, pleine d'espoir.

Bon bin voila, j'ai trouvé tous les soleils, alors bon, pourquoi ne pas donner un indice

Lyadrielle était déçue, très déçue. Mais elle n'avait pas cherché au bon endroit, elle le savait. Elle s'était en plus fait avoir par une petite fille. Elle en riait encore quand elle vit le dernier soleil arriver.

Effectivement, elle n'était pas allée chercher où il fallait mais avait au moins appris plusieurs choses aujourd'hui. D'une, il ne fallait pas se fier aux apparences, et de deux, il fallait faire des efforts si l'on voulait trouver ce que l'on cherchait.

Peut-être devait-elle être plus curieuse et plus débrouillarde ou alors penser et réfléchir un peu moins de temps en temps. Souvent quand on cherche trop, on ne trouve pas.

"Alors, ça y est ? On les a tous ?" demanda-t-elle au groupe d'amis.

Julie fit un sourire radieux à Lyadrielle qui avait vécu tant d'aventures. Elle l'enviait un peu d'être aussi débrouillarde, et soupira en continuant de se tourner les pouces de travailler intensément.

"- Juste un apparemment. Mais peut-être Fred pourrait-elle nous guider !"

Fred les conduit alors dans la salle où se dérouler le fameux "Jeu de la bombe" à bord du navire. Après avoir épluché des récits totalement fous, les marins le trouvèrent. Enfin. Le dernier soleil. Tous étaient éblouis, et tellement ravis!
Ils décidèrent qu'ils iraient tous à la cabane du sage, pour le donner ensemble, et que ce serait le Capitaine qui le porterait.
La sage les accueillit avec un large sourit :
"Enfin, nous les avons tous. Merci petits marins, tous les soleils ont été retrouvés dans votre merveilleux bateau..."

Aliou enveloppa délicatement les cinq Soleils dans une natte en fils de goyave tressée, puis donna le paquet à Lyadrielle.
“- Prenez-en soin et apportez-les à mon ami le sculpteur Ousmane. Il se trouve sûrement dans son atelier, en ce moment. Et il aura sûrement quelque chose à vous dire... !”

Lyadrielle récupéra le paquet d'une main tremblante. Elle regarda ses amis, les uns après les autres, d'un air un peu paniqué.

Elle ne voulait pas, encore une fois, se retrouver avec une moitié de soleil dans la main. Une fois lui avait suffi, amplement. Elle jeta d'ailleurs un regard à la petite fille et lui offrit un sourire timide avant de suivre ses camarades et le sage.

_____Pendant tout ce temps, Anaël était resté à observer calmement ses camarades et amis courir dans tous les sens pour aller chercher les Soleils. Oui, il avait fait toutes les cabines, lancé une plaisanterie sur l'état des cales et a manqué la crise cardiaque en voyant la montagne de poussière qui recouvrait le tableau noir. Alors une fois ce dernier dépoussiéré, il s'est posé dans un petit hamac auprès de Julie et a apprécié la douce tiédeur du Soleil couchant.. Ce lui-là, au moins, il l'avait trouvé.

_____Lorsqu'il se réveilla, tous les Soleils avaient été trouvés et il ne restait plus qu'à l'apporter au sculpteur Ousmane : L'esprit encore embrumé de ses rêves délirants, il suivit ses amis avec un léger retrait, profitant d'un dernier instant de calme avant de rejoindre la fête.